Mardi 18 juin 2019

La désindustrialisation en France n’est pas une fatalité. Il suffit de visiter près de Saint-Etienne l’usine de Desjoyaux, leader français de la piscine enterrée, pour s’en convaincre.
Avec un concept original et une production très automatisée, cette PME familiale réussit à exporter dans le monde entier. Jean-Louis (66 ans) et son fils Nicolas (38 ans), qui prendra bientôt les commandes de l’entreprise, témoignent.

CAPITAL : Comment se porte votre entreprise? JEAN-LOUIS DESJOYAUX : Nous devrions atteindre 100 millions d’euros de chiffre d’affaires sur l’exercice 2018-2019. L’entreprise a une bonne rentabilité, n’a jamais perdu d’argent, n’affiche aucune dette. En bon Auvergnat, je me souviens toujours qu’un sou est un sou… Quels sont les marchés porteurs? NICOLAS DESJOYAUX : L’export est très dynamique, en particulier en Allemagne où nous enregistrons une croissance de 90%. Et le panier moyen y est élevé : 38 000 euros. Nous sommes implantés dans 80 pays avec 8 filiales et un réseau de concessionnaires exclusifs. L’Europe représente encore l’essentiel de nos exportations, mais nous ouvrons dans de nombreux pays : la Turquie, la Hongrie, l’Arabie Saoudite, Israël et même la Syrie. Nous nous relançons aux Etats-Unis après une première tentative décevante. D’ici à cinq ans, l’export devrait représenter 50% de nos ventes.

Quel est le format le plus demandé ? N. D. : La taille la plus fréquente, c’est 8×4 mètres pour un budget d’environ 20 000 euros. Mais nous pouvons faire plus petit ou beaucoup plus grand. Nous avons construit un bassin de 2,5 hectares pour un hôtel en Egypte. Une piscine à débordement sur une terrasse au Brésil. Nous préparons actuellement un devis pour un célèbre joueur brésilien mais je n’en dirais pas plus. Qu’est-ce qui différencie vos piscines de celles de la concurrence ? J.-L. D : Elles sont conçues pour être assemblées comme des Lego et former une structure monobloc. Cela réduit les coûts logistiques à l’export et facilite aussi la tâche des installateurs. Il y a peu de risques de malfaçons. Notre problème, c’est qu’on manque terriblement de maçons, et pas seulement en France. Il y a une pénurie de main-d’œuvre dans ce métier où l’on gagne pourtant très bien sa vie. Nous allons créer une école d’apprentis pour essayer d’y remédier. Si nous avions plus de maçons, nous pourrions construire 20% de plus en France.

Votre usine près de Saint-Etienne tourne à plein régime ? J.-L. D. Elle tourne en trois-huit. Soit une production équivalente à 60 piscines par jour. Mais elle n’est pas au maximum de ses capacités. Elle est totalement automatisée. Nous avons standardisé la fabrication pour aller plus vite au stade de l’installation. C’est un argument qui compte chez le client : votre piscine peut être montée en moins de quinze jours. Vous n’importez rien de Chine ? J.-L. D. Notre production est 100% française et nous en sommes fiers. Nos moules sont fabriqués en Rhône-Alpes, rien ne vient de Chine. Certains moules ont des dimensions hors normes, comme on n’en trouve nulle part ailleurs dans la plasturgie, pas même dans l’automobile. Nous fabriquons tout : les structures qui constituent le squelette de la piscine, les filtrations, les margelles et les escaliers, les abris, la partie hydraulique de nos pompes. Cette intégration nous permet de créer de la valeur ajoutée en amont et donc d’être rentable. Et l’écologie dans tout cela ? N. D. Nos pièces sont fabriquées avec des produits recyclés. Nous achetons des déchets ménagers ou industriels en polypropylène, par exemple les pare-chocs ou les tableaux de bord des voitures, que nous broyons avant de les extruder. Quand une pièce est défectueuse, la matière est remise dans le circuit. Par ailleurs, notre système de filtration sans canalisations, conçu pour sa simplicité, se révèle lui aussi écologique : il est économe en énergie, ne renvoie aucune eau chlorée à l’égout.

Vous êtes un autodidacte, et pourtant vous avez déposé plein de brevets… J.-L. D. Mon père m’a transmis cette passion industrielle. Pour être patron d’une PME comme la nôtre, il faut de l’intuition et savoir prendre des risques. Demandez-vous comme beaucoup de PME, un allègement des charges, notamment fiscales ? J.-L. D. Le CICE n’était pas bien profilé pour l’industrie, même si nous en avons bénéficié. La baisse de l’impôt sur les sociétés, annoncée par le président Macron mais reportée, serait formidable pour l’emploi. Mais notre vrai souci porte sur l’accumulation des normes que l’on nous impose et qui handicapent notre compétitivité. L’administration est tout le temps sur notre dos, cela devient infernal. Par exemple ? J.-L. D. Nous avons été victimes d’un incendie dans nos bureaux il y a quelques mois. La conclusion de tout cela, c’est que l’administration a estimé que nous n’avions pas les installations conformes pour récupérer l’eau des lances à incendie des pompiers. DGCCRF (concurrence), Dreal (environnement), inspection du travail… nous sommes au cœur de l’attention de bon nombre d’administrations. On s’adapte mais cela devient horripilant. Vous avez approuvé La prime Macron ? J.-L. D. C’était une très bonne idée : nous avons versé 500 euros à chacun de nos salariés. Si le dispositif est pérennisé et que nos résultats le permettent, nous la doublerons. Vous maintenez un haut niveau d’investissement, pourquoi ? J.-L. D. Nous investissons en régime de croisière 5 millions d’euros par an, parfois plus. Y compris pendant la crise de 2008, qui nous avait conduits à réduire fortement notre production. Notre potentiel de croissance reste élevé, à l’étranger, mais aussi en France. Il y a 1,3 million de maisons individuelles équipées. Nous pourrions en avoir 7 millions de plus. Nous possédons 15 hectares de réserve foncière pour nous agrandir. C’est à la quatrième génération qu’il reviendra d’y bâtir de nouvelles unités. Propos recueillis par CHRISTOPHE DAVID- Capital Juin 2019 Lire l’article